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Les femmes atteintes de démence, « fanm fou », les grandes oubliées

Elles sont là sous nos yeux à longueur de journée, dans nos grandes villes, notamment dans l’aire Métropolitaine de Port-au-Prince, ces femmes qui marchent nues ou à moitié nues, qui portent des vêtements abîmés, sales. Elles mangent à même les poubelles, boivent de l’eau coulant dans des rigoles. On les voit parfois avec des nouveaux-nés. Nous nous contentons de les appeler « Moun fou ».

Abandonnées, ces personnes qui sont frappées d’une maladie mentale quelconque sont exposées à tous les maux: renversées par des motards, des conducteurs imprudents ou de mauvaise foi, violées etc. Qui devrait s’occuper de cette catégorie de femmes frappées d’incapacité mentale quasiment oubliées?

Nous savons en effet qu’il existe bel et bien un nom pour chacune des maladies que peuvent souffrir les êtres humains, les animaux et même les plantes. Mais, chez nous c’est différent. Nous sommes tout à fait conscients que nous vivons dans une société assez complexe, où même les choses visiblement scientifiques peuvent regorger de mystère. Ainsi pour parler de ces malades mentales « moun fou » comme nous les appelons chez nous, nous avons été voir des spécialistes mais aussi des personnes ordinaires en vue de faire le point sur ce sujet dont peu de monde ose parler.

Wilcox Toyo est psychologue spécialiste en santé mentale. Répondant à la question de savoir quand est ce que nous pouvons qualifier quelqu’un de malade mental (moun fou) a avoué que dans le souci d’éviter de stigmatiser ces personnes qui souffrent des troubles psychiques, il se garde d’utiliser le terme « moun fou ». Ce qui, à son avis, a un sens péjoratif. Il préfère alors parler de « malade mentale ». D’après le spécialiste les troubles mentaux sont nombreux : anxiété, schizophrénie, trouble de personnalité pour ne citer que ceux-là. Et, ça arrive qu’une personne soit atteinte de la forme grave de l’une de ces pathologies.

« 80 à 90% de mes patients sont des femmes et des enfants », a fait savoir Dr Toyo, qui en a profité pour montrer les conséquences de notre vision stigmatisante des choses. Pourquoi ? Doit-on conclure que c’est une maladie qui touche beaucoup plus de femmes que d’hommes ? Loin de là. Pour le psychologue, c’est d’abord parce que nous avons appris aux petits garçons qu’ils doivent-être forts. Ensuite, les haïtiens n’ont pas l’habitude d’aller voir des spécialistes en santé mentale car, » pou yo pa rele yo moun » a t-il enchaîné.

Atteindre d’une maladie mentale n’est rien de moins naturel. Ça devient catastrophique c’est quand les suivis médicaux se font trop attendre ou encore n’aboutissent jamais. A ce moment-là, la personne devient maniaco-dépressive, elle s’en fout des normes sociales, des valeurs morales, principes juridiques, avons-nous conclu des dires du spécialiste en santé mentale.

M.S (nom d’emprunt) de son côté est sociologue, diplômé à la Faculté des Sciences Humaines/UEH. Lui qui a voulu cerner la complexité de la question a précisé qu’il existe plusieurs facteurs qui peuvent provoquer un trouble mental chez une personne. Selon lui, ils sont d’ordres sociaux économiques et culturels.

« Quelqu’un qui se trouve dans une situation où il ne peut plus payer ses loyers, donner à manger à ses enfants, peut développer une anomalie psychique à cause d’un manque de perspective. », a illustré M.S. Ainsi, l’ancien de la faculté des sciences humaines a indexé tout l’appareil social. Il est clair que l’anxiété est due au fait de ne pas avoir le choix de planifier son destin, les sentiments d’insécurité dans toute sa globalité peuvent être à la base d’un trouble mental. Que dire des inégalités dont sont victimes systématiquement certaines femmes dans certains milieux ?

Si pour le sociologue et le psychologue les maladies mentales sont liées à des facteurs naturels, la grande majorité de la population haïtienne ne l’entend pas de cette oreille. Puisqu’en fait pour beaucoup d’haïtiens il y a bien d’autres raisons qui peuvent susciter le dérèglement psychique d’un individu. Qui d’entre nous, haïtien et haïtienne, n’a jamais entendu une personne prononcer ces phrases:  »Yo pa ka touye l yo fèl fou » ou encore » ou met wè yo sou bèl machin yo yap taye moun fou pou chans ? » Croyance, réalité ? Pour nous éclairer sur ces interrogations, nous avons rencontré une vodouisante qui a voulu garder son anonymat.

Selon elle, la folie n’est pas seulement une affaire clinique ou naturelle mais parfois surnaturelle. « Yo ka twoke lespri moun nan » a- t- elle affirmé.  » Twoke lespri yon moun » selon ce qu’elle nous a raconté, est une monnaie courante dans le vodou haitien.  » Il y a non seulement le côté visible des choses mais, il y a également d’autres facettes qu’on ne parle pas, a- t-elle insisté.

La dame qui répondait à la question  » Comment se fait-il qu’une personne normale puisse aller jusqu’à coucher avec quelqu’un qui est frappé de démence? » a déclaré  » ou pa konn tande mizik DJ yo ki di gen moun ki soti lafrans entre ayiti pou vin plumen moun fou a? », pour se moquer de ma question qui de tout évidence lui paraissait stupide. Il y a cette idée qui fait croire que le rapport sexuel est un moment de partage. Les personnes en question interchangeraient tout ce qu’ils possédaient. Et, puisque le » moun fou » peut vivre pendant de longues années malgré l’état d’insalubrité dans lequel elle vit. Elle est vue comme quelqu’un de très chanceux. Alors quiconque voudrait bénéficier de sa chance peut briser toute forme d’interdit pour entrer en relation sexuelle avec elle.

Toutefois, ce sont des choses qui se font dans le plus grand secret des dieux  » a-t -elle laissé entendre avant de rappeler que « Moun pa kite chans pèdi non ».

Si pour la vodouisante, il y a partage de chance et de force mystique, le docteur Destin Augustin, généraliste et specialiste en orthopedie travaillant à l’Hopital de l’Université d’Etat d’Haïti/HUEH (Lopital jeneral) pense que la notion de partage est vraiment une constante dans le sexe. Puisque le rapport sexuel non protégé est le principal moyen de propagation des pathologies sexuellement transmissibles dont la gonorrhée, l’herpès et le Sida.

Que faire ? Une question importante à se poser. Voyons le côté sociétal de la question. Incontestablement, cette situation devrait interpeller d’abord les organisations de défense des Droits humains dont l’Office de la Protection du Citoyen (OPC) qui devrait veiller au respect des Droits de ces femmes malades. Car, malgré leur état mental, elles en ont encore. On ne peut leur soustraire leurs Droits à la vie et à la santé.

Ensuite, l’Etat via le Ministère de la Santé Publique et de la Population est obligé d’avoir une politique de santé incluant un plan spécial et bien élaboré pour cette catégorie. Quant aux municipalités, elles sont les premières concernées dans les prises en charge puisqu’ elles sont les entités étatiques les plus proches de la population.

Il est à remarquer que ces femmes dites folles n’ont pas cessées d’être des mères, des soeurs et même des épouses. Nombreuses sont celles qui gardent certaines pratiques qu’elles ont eues dans leurs vies d’avant. C’est le cas d’une femme démente qui vivant dans les alentours du Sous-Commissariat de Canapé-Vert fait toujours ses lessives.

On aurait souhaité que l’OPC et les autres organes étatiques concernés, s’en chargent pour mieux protéger ces femmes en construisant beaucoup plus de centres d’accueil avec des médecins spécialisés dans le traitement des maladies mentales, afin de les réinsérer socialement.

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