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Crédit photo Moise Pierre/FOKAL

Gouyad Senpyè, ou le théâtre au service de la dénonciation des femmes emprisonnées injustement

« Gouyad Senpyè » dévoile l’existence misérable qu’endurent des milliers de jeunes femmes haïtiennes, ayant été détenue injustement pendant de longues années, sans jouir le droit d’avoir un procès équitable. Cette pièce est de Darline Gilles surnommée Manzè Da, la mise en scène et l’adaptation ont été assurées par Anyès Noeël, création de son Roudie Marcelin, et avec les comédiennes : Jenny Cadet, Wilda Jocelyn, Penina Midi, Daniela Julien, Johane Louis, Fabiola Rémy, Darline Gilles, Nathalie Labonté, Lucenda Boucard et Minouse Delva. Ànoter que cinq (5) de ces comédiennes étaient des anciennes détenues. La première fois que la pièce a été jouée c’était au 14e Festival Quatre Chemins, le 16 novembre 2017 à l’Institut Français en Haïti (IFH), sa deuxième fois était le 16 et 17 janvier dernier, à la salle polyvalente de la Fondasyon Konesans ak Libète (FOKAL), et elle sera rejouée pour une troisième fois, le 7 et 8 févrierprochain à IFH. Le texte sera aussi publié dans plusieurs autres langues, de cette façon il sera accessible au public autre que dans une salle de théâtre.

Cette pièce dénonce les arrestations arbitraires et illégales, avec les conditions infrahumaines dans lesquelles les détenues vivent : insalubrité, surpopulation de la prison, pas à manger à leur faim,  pas de loisirs, et pas de programme d’éducation. Cependant, la pièce nous dit que ces femmes n’ont pas perdu espoir, et continuent d’espérer, à avoir envie, et de rêver. D’ailleurs, l’un des plus puissants tableaux de cette pièce, celui qui la débute, en parle. On la décrit comme un spectacle émouvant, qui pousse l’assistance à s’indigner contre la souffrance dont subissent ces femmes. Regardons ensemble de plus près son processus de création, tout en gardant en tête ces chiffres [1] qui nous donnent un aperçu global de la situation qui est décrite. La Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP), en février 2018 nous apprend qu’en moyenne : 74% des hommes, 82% des femmes et 95% des filles qui ont été incarcéré sont détenus sans avoir été jugé. Quant à l’espace vital d’un détenu, du point de vue des standards minimaux il est en moyenne de 4,5 m2, mais en Haïti cet espace se limite à 0,5 m2, selon une étude de World Prison (2016). Et pour la période 2016/2017, 19.533 détenus ont été examinés et testés pour le VIH, et seulement 1.156 sont sous traitement antirétroviral.

Comment a été le processus de création de Gouyad Senpyè?

La première rencontre de Darline avec ces femmes détenues était arrangée par le Bureau du Droit Humains en Haïti (BDHH) et l’Association Quatre Chemins, en 2017. La BDHH était intervenue dans la libération de ces anciennes détenues, parce que personne ne s’y intéressait, elles ne faisaient que souffrir en silence. Ces femmes ont bénéficié de l’assistance d’un avocat, et on les a aidées à passer devant un juge afin d’être libérées. Les responsables du BDHH voulaient que l’histoire de ces femmes soit dévoilée au grand jour, parce que leur situation est méconnue de la majorité de la population haïtienne. Et l’auteure avoue elle-même que : « Je savais que le système judiciaire en Haïti était défectueux, mais je n’ai jamais imaginé que le problème était si grand. C’était une découverte, un choc, et une période d’apprentissage pour moi, sur le pays, sur ce qui s’y passait vraiment. »

L’idée était qu’on trouve des femmes qui seraient d’accord pour raconter leur histoire, de la transformer sous forme de théâtre et qu’elles devaient y jouer en tant que comédienne. L’auteure s’est inspirée des histoires de ces détenues, en laissant son imagination de côté. C’est peut-être ce qui lui donne toute sa force et toute sa fraîcheur. Il n’y avait pas beaucoup de femmes quiétaient pressées   de venir participer aux séances, parce que la plupart d’entre elles ont été emprisonnées parce qu’elles étaient : soit présentes sur les lieux d’un crime, soit une personne voulait les nuire. Elles avaient peur, et savaient qu’à n’importe quel faux pas, elles seront ramenées dans leurs cauchemars. Au final, l’auteure avait pu trouver sept (7) femmes, qu’elle a rencontré chaque mercredi, de neuf (9) heures à midiet certaines fois les séances pouvaient aller jusqu’à treize (13) heures.

Au début, Manzè Da laissait libre cours aux femmes de s’exprimer et enregistrait. Mais les souvenirs s’embrouillent, et elles omettent certaines informations soit pour la protéger, ou pour se protéger elles-mêmes. Pour les aider à s’exprimer sans contrainte, elle faisait des ateliers dans lesquels elle demanda aux anciennes détenues de jouer. Par exemple, le premier jour de la prison, où elles laissaient aller libre cours à leurs expressions, leurs mimiques, leurs gestes et revivaient les scènes. L’expérience en atelier avait duré plus de deux (2) mois, et chaque jour on y discutait un sujet différent. Comme comment elles ont vécu le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en prison, ou l’absence de leurs enfants et de leur famille. C’est ainsi qu’elle a pu découvrir des termes propres aux détenues que nous partageons quelques-uns avec vous : sè (une codétenue qui est emprisonnée pour la même cause que vous), majò (Celle qui est plus ancienne et dirige les autres détenues), blan (Celle qui vient d’arriver et qui peine à accepter sa nouvelle réalité), machin dyab la (La voiture qui vient chercher les détenues pour aller au tribunal ou pour en apporter de nouvelles).

Nous sommes des privilégiés qui avons peur.

Écouter le témoignage poignant de l’expérience de ces femmes emprisonnées injustement n’était pas chose facile, raconte Darline. C’étaient des témoignages tellement durs et parfois tellement extrêmes qu’ils paraissent irréels. C’étaient des récits de femmes qui ont été emprisonnées  pour une infraction dont elles pourront écoper d’une peine de deux (2) ans selon la loi, pourtant en ont purgé cinq (5) années en détention prolongée. Et quand elles ont finalement été amenées devant un juge c’était pour leur infliger une peine de deux (2) ans, en tout sept (7) années de perdu. C’étaient aussi des histoires avec des détenues qu’on avait demandé vingt mille (20.000) dollars américains pour sa libération sous caution, qu’on avait condamné à deux (2) ans de prison parce qu’elle ne pouvait pas payer. Et après ces deux années on lui redemanda cette même somme qu’elle n’avait toujours pas, et qu’au final on la retenait toujours prisonnière pour cet argent qu’elle ne pourra peut-être jamais trouver.

En écoutant tous ces témoignages, on se sentait comme des privilégiés et on avait peur. Privilégiés, parce que nous pouvons contempler librement un ciel étoilé avec sa lune ronde et brillante et pas elles. Privilégié, parce que nous pouvons dormir tranquillement dans notre lit, enveloppé dans nos draps propres et pas elles. Privilégiés, parce que nous pouvons utiliser des couverts pour manger un dîner qui ne sera pas rempli de vers, et pas elles. On avait peur, parce qu’elles ont été emprisonnées sur un coup de caprice d’un particulier, et rien ne nous protège contre cela. On avait peur, parce qu’elles se sont défendues contre un agresseur, donc ont été mise en détention, et personne ne pourra empêcher qu’on nous fasse la même chose. On avait peur, parce qu’elles étaient au mauvais moment au mauvais endroit, donc ont été enfermé et comme elles nous ne savons pas qui va prendre notre défense face au système.

Un système construit pour maintenir ces femmes en détention, pour qu’elles acceptent leur sort. On vit tellement d’injustice ici chez nous, qu’on est presque anesthésié face à la souffrance. On est au courant de détentions prolongées, des pratiques de corruption, de la surpopulation dans les prisons et de leurs mauvaises conditions d’hygiène. Mais en passant devant une prison, notre esprit est tellement occupé par nos soucis, toutes nos difficultés pour survivre qu’on en oublie leurs misères. Mais Gouyad Senpyè nous réveille de notre torpeur, toute cette dure réalité est presque vomie sur nous les spectateurs. On sort de la salle ébranlé, l’esprit en pagaille. Avec une seule question en tête, si c’était moi, qu’est-ce que j’aurais fait? Avec un seul sentiment, celui qu’on a une épée de Damoclès sur notre tête.

Gouyad Senpyè, était un cri pour dénoncer, pour mettre à nu des plaies béantes et puantes, pour hurler ce n’est pas possible que des personnes puissent vivre dans des conditions pareilles. Darline se dit satisfaite, et elle confie : « mon objectif était de transmettre toute la souffrance de ces femmes, de faire connaître ce fardeau d’injustice qu’elles transporteront toutes leurs vies, et de faire réagir le public, de les pousser à la révolte. » Assurément il reste beaucoup à dire et/ou à faire, parce que en ce moment même pendant que vous finissez de lire ces lignes, pas trop loin de vous, il y a des femmes et hommes qui sont enfermés injustement dans ces mêmes conditions exécrables.

(1) http://www.haitilibre.com

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