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Le café haïtien : sa situation actuelle et l’impact du changement climatique sur celui-ci

Nous venons de célèbrer la fête de l’agriculture ce premier mai. Un secteur qui joue un rôle prépondérant dans l’économie haitienne mais qui se détériore graduellement. Le café, étant l’une des productions agricoles phares du pays n’en est pas exempt. La caféiculture n’est plus ce qu’elle était autrefois. Aujourd’hui, elle est presqu’abandonnée. Elle est frappée de plein fouet par le phénomène du changement climatique. Madame Monique Rocourt, spécialiste en culture et patrimoine fait le point avec nous sur la situation actuelle du café haïtien.

Dofen News : Pouvez-vous vous présenter au public ?

Monique Rocourt : Après avoir fait un parcours assez long dans l’édition, dans la formation au niveau professionnel et dans le milieu religieux, je me suis lancée dans le marketing et la communication audiovisuelle. Formée dans les domaines de la technologie industrielle, de la communication et des arts graphiques, domaines dans lesquels je possède une maîtrise, j’ai toutefois toujours été attirée par le milieu culturel et par l’histoire. D’abord Consultante en communication et recherches de fonds auprès de la direction de l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) pendant quelques années. Par la suite, j’ai été, pendant un certain temps, à la tête de la dite entité. De là, je suis arrivée ensuite au Ministère de la Culture où j’ai continué à promouvoir la sauvegarde patrimoniale, la sensibilisation au patrimoine et la protection des sites de mémoire. Depuis quelques années, je travaille avec l’Association Touristique d’Haïti dans la coordination de projets liant culture, histoire et tourisme dans une optique de développement intégré.

D.F : Pouvez-vous nous présenter votre projet sur le café ? Quelle région du pays en est concernée ?

M.R : En réalité, ce projet n’est pas à proprement parler « Sur le café », bien que celui-ci en soit une des nombreuses composantes. Le projet a été proposé pour intégration au Projet de Tourisme Côtier du Ministère du Tourisme par l’Association touristique d’Haïti. Il est financé par la Banque Interaméricaine de Développement à travers l’Unité d’Exécution du Ministère des Finances qui en assure le contrôle fiduciaire. Ce projet basé sur la Culture et le Tourisme est unique en son genre. Il se déroule, depuis maintenant 16 mois, sur la crête de la chaîne des Matheux. Il s’agit, en plus de travaux de réhabilitation et de valorisation d’une forteresse (le fort Drouet), de l’utilisation de vestiges de caféteries coloniales dans un projet de développement intégré visant à améliorer le niveau de vie d’une communauté entière de paysans en commençant par adresser son niveau de précarité. Le projet comprend la formation de mutuelles de solidarité, l’encadrement agricole, la recherche variétale au niveau du pois et du maïs plantés là-haut, l’introduction de techniques agricoles respectueuses de l’environnement et permettant de meilleurs rendements, l’apport de l’énergie solaire, le reboisement, l’élevage et j’en passe. La plantation du café en particulier, sur certaines de ces anciennes habitations caféières datant de la colonie et constituant des rappels poignant de l’esclavage, participe autant du développement par l’agriculture que de la réappropriation historique et de la création de circuits touristiques dans cette zone peu connue mais combien riche en potentiels.

D.N : Sur le marché international, quel est le poids du café haïtien ?

M.R : Je dois vous dire d’abord qu’il fut un temps, dès la fin du 19e siècle, où le café haïtien était si renommé qu’il était devenu le « talon » du café mondial. Ce café particulier venait des hauteurs de St-Marc et de l’Arcahaie, des Goyaviers et de Fonds Baptiste jusqu’aux hauts plateaux des Matheux. Il était, et de loin, selon les dires des connaisseurs, meilleur au goût que le café planté pendant la période coloniale, qui avait amené les planteurs Saint-Dominguois sur nos montagnes, avait enrichi la colonie mais avait également rapidement détruit l’écologie des zones cultivées.

Malgré tous les problèmes liés aux changements de prix au niveau du marché international du café et le manque d’encadrement des paysans producteurs, Haïti était resté un grand producteur mondial, le troisième plus grand en 1949. En 1974, le café fournissait encore la moitié des recettes d’exportation du pays. Mais le déclin a été ensuite très rapide.

Aujourd’hui, plus de deux siècles plus tard, nous avons non seulement perdu notre place parmi les grands exportateurs de café du monde, mais pire, nous avons perdu notre café tout court, n’ayant pas su encadrer nos paysans et ayant laissé à la nature le soin de s’occuper des problèmes inhérents à cette plante pourtant si généreuse. Notre café ne suffit même plus pour notre consommation locale, voire pour satisfaire les besoins du marché international où nous sommes maintenant quasi inexistants. Aujourd’hui, on peut dire qu’Haïti est un producteur de café marginal sur le marché international.

D.F : Quels sont les impacts du changement climatique sur le café en Haïti ?

M.R : Cet impact peut être étudié en comparant déjà les hauteurs sur lesquelles le café était traditionnellement planté il y a plus de deux siècles et où il est cultivé aujourd’hui. Les documents d’époque nous renseignent sur le fait que le café était planté, sous la colonie, à des hauteurs variant de 400 m à 800 m d’altitude. De nos jours, il faut monter à 1000 m ou plus si on veut réellement exploiter le café. Plus bas que cela, le café subit les attaques constantes des insectes et des maladies qui se plaisent dans la chaleur et qui dévastent les plantations. Car notre planète se réchauffe. Le climat des montagnes d’antan n’est plus celui d’aujourd’hui. Aux Matheux, il gelait sur la crête, il y a deux siècles et le froid était mordant sur ces hauteurs, auparavant constamment recouvertes d’une brume glaciale. Aujourd’hui, ce climat ne se retrouve sans doute que sur nos pics les plus élevés et nous voyons le café pousser à présent fort bien à 1600 m ou plus, ce qui aurait été impensable il y a deux siècles.

Je dois cependant rappeler que les effets des changements climatiques au niveau du café ne se font pas sentir uniquement en Haïti. On sait qu’au niveau mondial, environ une plante sur cinq est menacée d’extinction; pour le café, le chiffre, au niveau mondial, est à 60% pour les 124 espèces connues de café.

D.F : Ces effets ont été constatés depuis quand ?

M.R : Je ne puis vous le dire avec certitude, n’étant pas agronome experte en ce domaine. Je sais cependant que les effets combinés du déboisement et du réchauffement climatique ont été un peu plus évidents sans doute vers les années 1980 où la production caféière a commencé à chuter de manière alarmante. Les dévastations causées à cette époque par le scolyte du café, puis celles amenées en 2012 par une maladie appelée la « rouille orangée » ont porté un coup mortel à la production caféière en Haïti. Les catastrophes naturelles des dernières décennies comme les ouragans de plus en plus violents, des cycles répétés de graves inondations suivies de longues sécheresses, jusqu’au séisme de 2010 ont finalement assené le coup de grâce à cette production. Il faut quand même noter que cette chute est aussi due à l’abandon des montagnes par les paysans que ces plantations n’arrivaient plus à nourrir, en plus d’être dans des zones privées souvent d’infrastructures routières. De plus, les pressions politiques auxquelles les planteurs de café n’ont pas échappé sous le régime des Duvaliers n’ont fait qu’encourager la fermeture de nombreuses filières caféières.

D.N : Que faire pour y remédier ?

M.R : A mon avis, il faudrait d’abord continuer à planter plus haut, sans doute et en profiter pour reboiser massivement nos montagnes, car le café de qualité se cultive sous abri dans la plupart de nos zones caféières. Il faut que la production de café redevienne un souci majeur pour l’État qui doit absolument apporter un encadrement soutenu aux petits et grands producteurs, en les encourageant et en supportant les efforts des coopératives de planteurs de café. Il faut également chercher à diversifier les variétés en production.

Il existe aujourd’hui plusieurs variétés d’Arabica plus résistantes aux insectes et aux maladies que nos traditionnels Arabica Typica et Bourbon et qui gardent cet arôme exquis donné par notre terroir. Je veux parler ici des Arabica Catigua, Catimore, Blue Mountain, pour ne citer que les plus populaires. Nous devons encourager leur plantation sur toutes nos montagnes en les rendant disponibles à moindre coût pour nos petits et grands producteurs. L’encouragement et l’encadrement des paysans dans la filière café restent et demeurent cependant une condition sine qua non à une vraie reprise de cette filière.

D.N : Que proposez-vous aux autorités compétentes ?

M.R : Malgré le déboisement et l’appauvrissement de notre terroir, les caractéristiques de notre sol et de notre climat fournissent encore les conditions nécessaires à la production d’un café national de grande qualité qui soit capable d’obtenir un prix supérieur sur les marchés internationaux. Malgré tous les aléas et un manque flagrant d’accompagnement étatique, le secteur caféier a toujours été l’une des filières agricoles les mieux organisées du pays avec un potentiel de croissance élevé. Pour ces 20 prochaines années, il faudrait faire de la production du café un réel effort national. En faire le fer de lance d’un grand démarrage économique. A ceci peut être couplé d’un tourisme agricole et historique agressif. En même temps, il faudrait joindre à cette grande production des campagnes massives de reboisement visant à protéger la terre mais aussi à assurer à notre café une qualité maximum. Tout cela, avec comme objectif de redevenir sinon un des plus grands producteurs mondiaux, du moins reprendre notre place. Et pourquoi pas, être celui produisant le meilleur café au monde.

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