La guadeloupéenne Axelle Kaulanjan se lance dans la littérature en proposant son tout premier recueil de poèmes intitulé « Fanm Total ». A travers cette œuvre, l’auteure s’inspire de la vie de femmes caribéennes modernes et libérées pour mettre en valeur l’amour, la cause féministe, les adversités de la vie et des leçons tirées d’expériences. Suivez l’exclusivité de l’interview que l’auteure a accordé à notre rédaction.
Dofen News : Pouvez-vous faire une petite présentation de vous ?
Axelle Kaulanjan : Je suis originaire de Petit-Canal, dans le Nord Grande-Terre de la Guadeloupe, et je me considère comme une citoyenne caribéenne. Après des expériences professionnelles fortes à l’international et aussi chez moi, dans le domaine politique, je suis aujourd’hui consultante-experte en politiques publiques, spécialisée en solutions sexospécifiques et intersectionnelles. D’ailleurs, nombreuses missions professionnelles m’ont déjà conduite en Haïti, où j’ai travaillé et habité il y a 9 ans. C’est une terre à laquelle je me suis toujours sentie reliée, comme connectée. Et encore plus aujourd’hui avec un fils aîné à moitié haïtien.
D.N : Qu’est-ce qui marque vos débuts dans la littérature ?
A.K : Je suis une universitaire de formation, donc la littérature scientifique est mon domaine, cela me connaît. J’ai déjà écrit aussi un ouvrage à quatre mains, avec Mylène Colmar, il y a quelques années, sur la grève des 44 jours qui avait mobilisé la Guadeloupe en 2009, mais « Fanm Total » est mon entrée dans la littérature à proprement parler.
J’ai l’habitude d’écrire des choses très austères, et beaucoup sont étonnés de me voir publier aujourd’hui un recueil de poèmes ; d’aller vers un type de littérature qui touche plus les émotions, plutôt que les exercices très rationnels auxquels je me suis déjà livrée.
Cela fait des années que j’écris, que j’ai des projets de poèmes, de nouvelles et romans pleins les tiroirs. Il m’aura fallu une épreuve de vie très difficile pour me décider à partager tout cela.
D.N : Parlez nous un peu de votre recueil « Fanm Total », vos sources d’inspirations ?
A.K : Je puise mon inspiration dans l’imaginaire du Nord Grande-Terre, les traumas du quotidien, ainsi que dans l’hindouisme créole (je suis métisse avec mon père d’origine indienne et ma mère afrodescendante), le vaudou, et le magico-religieux caribéen, de façon générale. Dans ce recueil, c’est d’abord une jeune femme caribéenne, moderne et libérée, qui parle de différentes étapes d’une vie. Je m’inspire souvent de mon vécu, mais aussi de celui d’autres femmes avec qui j’échange souvent dans le cadre de Caribbean Boss Lady, une plateforme qui encourage le leadership féminin que j’ai lancée en 2017.
D.N : Cela vous a pris combien de temps pour l’écrire ?
A.K : J’avais déjà, depuis plusieurs années, et particulièrement depuis 2018, beaucoup de poèmes dans mes cartons. Je n’avais jamais pensé qu’ils puissent être publiés, tellement ils sont différents de ce que j’ai l’habitude de publier à titre professionnel. Et puis beaucoup d’entre eux expriment non seulement une grande sensualité, mais aussi une terrible douleur ; deux extrêmes entre lesquelles la majorité des femmes caribéennes naviguent, sans toujours pouvoir trouver un équilibre.
C’est justement la douleur qui m’a remise sur les chemins de la poésie, en 2021, à la suite d’une expérience difficile. L’écriture a eu cette vertu cathartique et curative pour moi, et en deux mois, j’avais une ébauche de recueil. Cela m’a pris plus de temps de trier, de corriger et d’organiser les poèmes que de les écrire.
D.N : Pourquoi donner un tel titre à votre œuvre ?
A.K : Comme je vous l’ai dit, je suis, depuis très jeune, imprégnée d’une culture caribéenne créole, et cette expression haïtienne, que l’on entend souvent dans les konpa love, m’a toujours fascinée. Elle veut dire tellement de choses à la fois, et traduit parfaitement, selon moi, par-delà la sensualité de la femme, la force que nous, femmes, pouvons déployer au quotidien, pour nous, mais aussi pour nos familles et nos communautés, peu importent les difficultés de la vie.
Je ne voulais pas utiliser l’expression « Fanm Potomitan » que nous avons en commun en Guadeloupe et en Haïti, car historiquement, sociologiquement et culturellement, elle renvoie trop, pour moi, à une pseudo valorisation des femmes qui, au fond, a pour corollaire une déresponsabilisation de nos hommes.
Et puis, en pensant à la figure du loa vaudou Erzulie, et à ses divers avatars et déclinaisons, qui inspire beaucoup mon écriture, le titre s’est imposé. D’ailleurs, le recueil comporte trois mouvements, ou trois parties si l’on préfère, qui sont nommés d’après Erzulie :
• Erzulie Freda : Ces poèmes expriment l’amour, le désir amoureux et charnel.
• Erzulie Dantor : Ces poèmes expriment la révolte, la force des femmes face à l’adversité, l’amour filial mais discutent aussi de la cause féministe.
• Grann Erzulie : Ces poèmes, plus apaisés sont aussi plus lucides et arrivent comme des leçons tirées d’une vie bien mouvementée.
D.N : Vous comptez vous arrêter là, ou allez-vous continuer à écrire ?
A.K : L’écriture c’est ma vie, et je suis toujours en train d’écrire plusieurs projets. Le prochain recueil de poèmes est terminé. Cependant, un autre projet me tient à cœur : finir un recueil de nouvelles qui puise son inspiration dans mes nombreux voyages dans la Caraïbe, et plus particulièrement en Haïti, bien sûr, en Martinique, et à Saint-Martin.
D.N : Avez-vous rencontré des obstacles au cours de la rédaction de ce recueil ?
A.K : Le plus grand obstacle, c’était surtout moi. Parvenir à surmonter le syndrome de l’imposteur, car je n’avais jamais rien rendu public de mes œuvres autres qu’universitaires ou journalistiques ou encore relatives à mon champ d’expertise professionnelle…
Quand l’inspiration vient, que l’on a des choses à exprimer avec force et vigueur, c’est comme un torrent violent. Rien ne peut empêcher la plume de glisser !
Les difficultés par ailleurs sont surtout logistiques, surtout en tant que femme : avoir le temps et les espaces de tranquillité et de solitude nécessaires pour écrire et travailler sa littérature, sont une luxe absolue compte tenue de la charge mentale que nous, femmes, en plus mères, devons gérer.
D.N : Comment est le feedback, le recueil est-il apprécié selon vous, à sa juste valeur ?
A.K : Les proches qui ont déjà pu le découvrir, ainsi que certains des bibliophiles de ma communauté en ligne, m’ont fait d’excellents retours. Cependant, j’attends la sortie officielle, le 26 septembre, la critique et les appréciations des lecteurs pour en juger.
D.N : Avez-vous des objectifs dans le domaine littéraire, caressez-vous par exemple le rêve de décrocher des prix ?
A.K : (Rires) Jusqu’à votre question, je n’y avais pas du tout pensé ! Ma meilleure récompense sera de pouvoir partager « Fanm Total » dans toute la Caraïbe, faire vivre ces poèmes, et pourquoi pas leur donner vie à travers la musique et aussi l’image.
D.N : Avez-vous des modèles ? Des personnes qui vous inspirent ?
A.K : J’ai un grand nombre de personnes qui m’inspirent ; à commencer par les femmes de mon entourage, mais des figures historiques comme la reine Anacaona, en Haïti, ou encore la mulâtresse Solitude, en Guadeloupe, meuvent quelque chose de profond en moi.
Au niveau littéraire, mes cinq modèles absolus, et sources d’inspiration sont Toni Morrison, René Dépestre (à qui je voue une adoration totale !), Maryse Condé, Gisèle Pineau et l’intemporelle Maya Angelou.
D.N : Un message et des conseils pour les jeunes voulant lancer carrière dans l’écriture ?
A.K : Trois choses fondamentales pour moi : lisez beaucoup, encore et toujours. C’est en lisant que j’ai eu envie d’écrire et que je me suis aussi forgé mon propre style.
Ensuite, croyez en vous ! L’écriture est un exercice solitaire, rempli de doutes et de remises en question, alors il est vraiment important d’avoir confiance en soi.
Enfin, soyez vous-mêmes, restez authentiques et fidèles à votre voix. C’est cela que le lecteur vient chercher, et non pas une copie d’un autre auteur.
You may also like
-
Fabienne Colas reçoit la Médaille du Couronnement du Roi Charles III pour ses Contributions Communautaires
-
Kamala Harris prône une Amérique unie et optimiste lors de la convention démocrate
-
La mère de Simone Biles demande pardon à sa fille après l’avoir abandonnée à l’âge de 2 ans
-
Une deuxième médaille d’or en huit jours pour Ava Soon Lee, la taekwondoïste haïtienne
-
Simone Biles Remporte une Sixième Médaille d’Or aux Jeux Olympiques